Troubles alimentaires : lorsque manger devient une souffrance
Trop rond(e), trop maigre, pas assez musclé(e), mais surtout trop influencé(e) par les diktats de minceur imposés par les médias et les sociétés occidentales… Nombreux sont les vecteurs de « normes physiques » que nous nous sentons parfois obligé(e)s de suivre pour des raisons diverses et variées (souci de plaire aux autres ou de véhiculer une certaine image de soi, complexes et faible estime de soi liés à des moqueries durant l’enfance, perfectionnisme,…). Amis lecteurs/ices, que vous soyez victimes ou simples témoins de ces troubles alimentaires, cet article vous concerne : patient en souffrance, entourage en difficulté ou bien observateur extérieur au jugement parfois un peu trop hâtif, cet article peut vous fournir des clés pour reconnaître ces troubles, encourager les personnes en difficulté à faire appel à des professionnels, mais aussi mieux comprendre et appréhender les souffrances vécues au quotidien par les personnes souffrant de troubles alimentaires.
Troubles alimentaires : définition
« Je me noie dans mon miroir parce-que je ne sais pas nager. Ce sont des eaux troubles et dangereuses, des marécages. Pour certains ce sont des reflets du ciel et pour moi ce sont des miasmes. »
Serge Gainsbourg, Pensées, provocs et autres volutes
Les Troubles des Conduites Alimentaires (ou TCA) se définissent comme un rapport pathologique à la nourriture, où le sujet présente une préoccupation persistante pour la nourriture, son poids et son apparence physique. Bien souvent s’y associent une peur intense de grossir et une dysmorphophobie (distorsion de l’image corporelle), favorisant alors la spirale infernale du trouble alimentaire.
Ces troubles se manifestent par des conduites alimentaires « divergentes », parfois associées à des comportements compensatoires inappropriés visant à perdre du poids ou à ne pas en prendre, car l’estime de soi du sujet semble directement liée à la forme corporelle.
Au-delà des problèmes de poids que ces troubles alimentaires induisent, ce sont les nombreuses conséquences physiques et psychologiques qui en font un problème de santé majeur nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire associant médecins, nutritionnistes/diététiciens et psychologues.
Épidémiologie et facteurs de risques des troubles alimentaires
Même si la prévalence du phénomène a tendance à augmenter chez les sujets masculins, les adolescentes et les jeunes femmes restent les plus touchées par ces troubles alimentaires. C’est également durant l’adolescence et chez le jeune adulte que l’on retrouve la plus forte prévalence.
Les principaux troubles alimentaires sont l’anorexie mentale et la boulimie nerveuse. L’anorexie mentale affecte 1,5% de la population féminine entre 15 et 35 ans (1 homme pour 15 à 18 femmes) et débute principalement durant l’adolescence, tandis que la boulimie nerveuse touche 3 à 4% des femmes du même âge (1 homme pour 30 femmes) et affecte davantage l’adulte de plus de 25 ans.
De nombreux facteurs de risques sont mis en avant par les scientifiques pour expliquer la survenue d’un trouble des conduites alimentaires avec, en première ligne, l’existence d’un mal-être psychologique et d’une faible estime de soi. Bien évidemment, la prévalence de ces troubles est accrue dans les sociétés véhiculant un idéal de minceur. Ne sont pas non plus innocents les médias, qui ne manquent pas de nous inonder de publicités à grands renforts de modèles toujours plus minces sensées attiser en nous, mesdames, le désir absolu d’entamer un régime tout de suite et maintenant. Ajoutez à cela l’ensemble des transformations corporelles, la quête identitaire et la fragilité psychique propres à l’adolescence, et vous avez là le cocktail idéal pour obtenir un trouble alimentaire.
A noter cependant que de nombreux neuroscientifiques proposent une autre théorie tout à fait intéressante et qui n’invalide en rien l’influence des facteurs de risques cités plus haut. En effet, de récentes recherches tendent à démontrer que le circuit intracérébral de la récompense serait hyper-activé chez les sujets souffrant de troubles alimentaires, comme chez les usagers de drogue. Le taux élevé de rechute et la difficulté à stopper un comportement alimentaire problématique laissent à penser que ces troubles agiraient comme des drogues en augmentant la sécrétion de dopamine, avec la perte ou la non-prise de poids comme source de plaisir ressenti (de la même façon que lors d’un « shoot »). Les troubles alimentaires seraient donc des addictions ?
Les principaux troubles alimentaires : anorexie mentale et boulimie nerveuse
Selon le DSM-V, l’anorexie mentale se manifeste d’abord par une restriction délibérée des apports énergétiques, induisant ainsi un poids significativement bas par rapport au poids « normal » attendu compte tenu de l’âge du sujet, de son genre et de son stade de développement. De ce fait, on évalue la sévérité de l’anorexie mentale au regard de l’Indice de Masse Corporelle (IMC) du sujet :
- Légère : IMC = 17
- Moyenne : IMC = 16-17
- Grave : IMC = 15-16
- Extrême : IMC < 15
S’y associe une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, avec la persistance de comportements inappropriés interférant avec la prise de poids, bien que celui-ci soit déjà bas. Enfin, on constate une dysmorphophobie (distorsion de la perception de son poids ou de la forme de son corps) avec un sujet qui refuse d’admettre la gravité de la maigreur (voire persiste à croire qu’il est en surpoids), et une estime de soi très dépendante du poids et de la forme corporelle.
On distingue deux types d’anorexie mentale :
- Restrictive pure : sans accès de « gloutonnerie » et sans comportements compensatoires inappropriés (comme les vomissements provoqués), mais avec une perte de poids obtenue à l’aide d’un régime strict, de périodes de jeûne prolongées ou d’hyperactivité sportive.
- Avec accès hyperphagique/purgatif : avec accès récurrents de gloutonnerie et la présence de comportements compensatoires (vomissements provoqués, prise de purgatifs/laxatifs), avec un aspect « boulimique » ou « purgatif » prédominant.
A l’origine de l’anorexie mentale, on retrouve notamment :
- Un tempérament anxieux et perfectionniste (voire, présence de TOC)
- Volonté de contrôle, difficultés à lâcher prise
- Faible estime de soi et confiance en soi ; moqueries et/ou surpoids durant l’enfance
- Fragilisation psychique durant l’adolescence
- Influence des média et de la société
- Professions « à risques » (danseurs, mannequins, jockeys,…)
De nombreuses pathologies en découlent :
- Troubles cardio-vasculaires et rénaux
- Troubles digestifs (constipation)
- Érosion de l’émail dentaire, caries
- Troubles métaboliques (aménorrhée, hypertrophie des glandes salivaires, retard de développement des caractéristiques sexuelles secondaires)
- Une fatigue générale ; une tendance à la frilosité
- Impuissance ; arrêt du développement des organes génitaux chez l’homme
- Syndrome dépressif et troubles de l’humeur
- Troubles addictifs
A noter que, lorsque l’IMC est extrêmement bas, le risque de décès est accru.
Comme nous l’avons déjà vu précédemment, on constate un accroissement de l’anorexie mentale chez l’adolescent et le jeune homme, que les scientifiques relient à l’intérêt croissant pour l’esthétique masculine et une tendance à l’indistinction homme/femme dans les standards sociaux. Il est cependant important de constater que des différences hommes/femmes existent dans l’anorexie mentale :
- Les femmes font plutôt des régimes, mais les hommes sont plus dans l’hyperactivité sportive ;
- Les femmes ont donc un idéal de minceur et les hommes un idéal de musculature ;
- Celui induit une aménorrhée chez la femme et une diminution du taux de testostérone chez l’homme ;
- On retrouve souvent un poids initial correct chez la femme, tandis que des antécédents de surpoids sont souvent retrouvés chez l’homme ;
- Les femmes ont moins de conduites addictives que les hommes
Toujours selon le DSM-V, la boulimie nerveuse se manifeste par des crises régulières de boulimie, des comportements compensatoires inappropriés et une estime de soi fortement liée au poids et à la forme corporelle, comme dans l’anorexie mentale. Cependant, les sujets gardent souvent un poids et un IMC « normaux », ce qui rend le diagnostic plus complexe. Là encore, l’on retrouve deux types de boulimies : avec ou sans comportements compensatoires.
- La crise de boulimie est la consommation (généralement en cachette) d’une très grande quantité de nourriture en un temps limité, associée à un sentiment fort de perte de contrôle et de culpabilité/honte.
- Les comportements compensatoires se manifestent par des vomissements provoqués, la prise de laxatifs/purgatifs et l’hyperactivité sportive dans le but de ne pas prendre de poids.
Les pathologies associées sont globalement les mêmes que dans l’anorexie mentale. On note cependant un risque élevé de diabète, mais surtout de déshydratation (ainsi que de déchirures de l’œsophage ou d’ulcère gastrique) liée aux vomissements provoqués répétés et à la prise de purgatifs. On remarque également un plus fort taux d’addiction à une substance que dans l’anorexie mentale, ou encore une plus grande instabilité de l’humeur et une grande dépendance affective (sensibilité à l’abandon et intolérance à la solitude).
Autres troubles alimentaires
Si l’anorexie mentale et la boulimie nerveuse sont les principaux types de troubles alimentaires en termes de prévalence, d’autres troubles moins connus du grand public existent :
- L’hyperphagie boulimique (ou binge-eating) se manifeste par des crises boulimiques similaires à celles retrouvées dans la boulimie nerveuse, avec une sensation intense de perte de contrôle, suivie d’un fort sentiment de culpabilité et de dégoût de soi-même. Cependant, le sujet ne procède pas à des comportements compensatoires dans le but d’éviter la prise de poids.
- Le syndrome d’alimentation nocturne (ou night-eating syndrome) est l’habitude de se lever la nuit dans un état de demi-sommeil proche du somnambulisme, afin d’engloutir de grandes quantités de nourriture. A l’instar des somnambules, le sujet ne se rappelle pas s’être levé pour manger durant la nuit (ce ne sont que les détritus jonchant le sol de sa cuisine qui sont là pour lui signaler, ou bien les voisins de chambre que cela a réveillé).
- La maladie de Pica : le sujet ingère de façon répétée une ou plusieurs substances non-nutritives et surtout non-comestibles (papier, savon, tissu, peinture, craie, coton, etc). On retrouve fréquemment ce trouble chez les sujets souffrant de retard mental, d’autisme ou de trichotillomanie.
- Le mérycisme se caractérise par la rumination et régurgitation d’une nourriture précédemment ingérée : le sujet fait remonter dans sa bouche le bol alimentaire qu’il vient d’avaler et peut le ruminer pendant des heures, sans dégoût ni haut-le-cœur. Ce trouble est relativement rare et c’est essentiellement chez le nourrisson qu’on le retrouve.
- L’orthorexie : si ce trouble n’est pas répertorié dans le DSM, c’est parce qu’il divise encore la communauté scientifique. L’orthorexie serait une obsession pour l’alimentation saine et « pure », menant le sujet à une diète très stricte sans désir de minceur mais par volonté d’améliorer sa santé.
Traitements des troubles alimentaires
Le traitement se doit d’être pluridisciplinaire et de prendre en compte à la fois le patient et son entourage.
Dans un premier temps, ce sont les complications médicales qui seront prises en charge, en passant notamment par la re-nutrition en cas de faible IMC (généralement durant une hospitalisation). Une prise en charge par une diététicienne spécialiste des troubles alimentaires s’avère indispensable, afin de réapprendre à manger et à choisir les bons aliments. Enfin, la prise en charge psychologique se montre tout aussi essentielle : celle-ci pourra être d’ordre psychodynamique (à travers des entretiens individuels et familiaux, mais aussi des groupes de paroles), ou encore cognitivo-comportementale afin de « re-formater » les comportements alimentaires inappropriés. A cela, il est très important d’associer la prise en charge de l’entourage :
- Information sur la maladie
- Conduite à tenir (ne pas forcer le sujet à manger, encourager et soutenir la démarche de soins, ne pas commenter l’apparence physique, valoriser l’estime de soi, faire preuve de patience, encourager les activités non-liées à la nourriture, ne pas culpabiliser en cas de rechute, etc.)
- Soutien psychologique des familles (parents, fratrie)
« Si je pouvais t’offrir une seule chose dans la vie, j’aimerai te donner la capacité de te voir à travers mes yeux. C’est seulement ainsi que tu te rendras compte de l’être spécial que tu représentes. »
Frida Kahlo
Comme toujours, je vous remercie d’avoir lu cet article, en espérant que celui-ci vous ait plu et rendu service. N’hésitez pas à le commenter, je vous répondrai avec plaisir !
Etudiante en Psychologie, je suis particulièrement intéressée par la psychologie cognitive, la neuropsychologie et les neurosciences. Je crois que les connaissances sont faites pour être partagées, alors j’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire mes articles que j’en prends à les partager avec vous.