Les stéréotypes sociaux : que sont-ils et pourquoi nous les utilisons ?

« Femme au volant, mort au tournant », « Les Anglais ne savent pas cuisiner », « Les coiffeurs sont tous homosexuels », « Les gens qui ne veulent pas d’enfants sont égoïstes »… Les stéréotypes sociaux sur tout et n’importe quoi ne manquent pas, d’ailleurs nous en sommes tous à la fois les vecteurs et les victimes, même si nous n’en n’avons pas toujours conscience !

Les stéréotypes sociaux : que sont-ils et pourquoi nous les utilisons ?
Les stéréotypes sociaux : que sont-ils et pourquoi nous les utilisons ?

Du stéréotype à la discrimination, il n’y a qu’un préjugé !

Selon Richelle (2011), le stéréotype est une croyance ou représentation rigide et simplificatrice, généralement partagée par un groupe plus ou moins large, relative à des institutions, des personnes ou des groupes. Pour Lippman (1922), « les stéréotypes sont des images dans notre tête qui s’intercalent entre la réalité et la perception qu’on en a ». Le stéréotype induirait donc des catégorisations descriptives simplifiées (voire caricaturales) d’individus (notamment à travers leur groupe d’appartenance), sur la base de croyances partagées par plusieurs sujets (fondées ou non).

Les stéréotypes sociaux permettent aux individus de favoriser leur propre groupe d’appartenance (endogroupe) en le faisant apparaitre moins négatif que les autres (exogroupes), induisant ainsi une comparaison sociale généralement non-fondée, parfois drôle et légère, mais pouvant aussi aller jusqu’au préjugé ou à la discrimination, la recherche de boucs-émissaires ou l’ethnocentrisme.

Pour Billig (1984), les préjugés sont des opinions dogmatiques et défavorables au sujet d’autres groupes, et, par extension, au sujet de membres individuels de ces groupes. Il les qualifie également de « pré-jugements prématurés, préalables et inébranlables ». Le préjugé a donc plusieurs composantes : cognitives (caricaturales), affectives (négatives) et comportementales (discriminantes) ; il est acquis et argumentatif quoique non-argumenté. Il peut induire une attitude de discrimination d’un sujet ou groupe de sujets envers un autre.

La discrimination s’illustre par un comportement de rejet d’un individu A envers un sujet B, uniquement dû à l’appartenance de ce dernier à un groupe différent du sien. La discrimination utilise des indices (comme la couleur de peau, la religion, l’accent) permettant de distinguer les personnes en les incluant dans un groupe ciblé. Pour Billig (1984), le préjugé se rapporte aux attitudes négatives, et la discrimination est un comportement dirigé contre les individus visés par le préjugé.

Les stéréotypes sociaux : comprendre et justifier l’inexplicable

Les stéréotypes sociaux sont également à l’origine du processus d’attribution causale, qui permet aux individus de donner une cause et une signification aux évènements et aux comportements d’autrui, même erronées. Pour Leyens (1978), ce processus survient particulièrement en présence d’évènements inhabituels, désagréables ou surprenants. Concrètement, quand quelque chose de dérangeant survient, nous ressentons l’absolu besoin de l’expliquer pour le comprendre.

L’attribution causale apparait alors sous forme d’extension temporelle (tendance à généraliser un comportement qui ne s’est produit qu’une fois), de ressemblance (un sujet A ressemble à un sujet B, donc ils doivent agir de la même manière) ou d’analogie (déduction de qualités psychiques à partir de qualités physiques). Ainsi, selon Heider (1958), l’attribution causale permettrait à l’individu de désigner un « responsable » (réel ou fictif) et d’attribuer à son comportement des causes :

  • Internes (dispositionnelles) ou externes (situationnelles) ;
  • Contrôlables ou incontrôlables ;
  • Temporaires ou permanentes.

Les stéréotypes ethniques, précurseurs des premiers modèles théoriques

C’est aux Etats-Unis dans un contexte de ségrégation raciale importante que la majorité des études fondatrices sur les stéréotypes sociaux ont émergé, mettant alors en évidence plusieurs concepts fondamentaux :

  • Le biais de favoritisme intra-groupe : Katz et Braly (1933) proposent une expérience où des étudiants Américains blancs devaient déterminer, selon eux, les critères typiques décrivant les Afro-Américains, les Juifs, les Américains blancs, etc. Les résultats montrent clairement un biais de favoritisme intra-groupe : les Américains blancs sont perçus comme « intelligents, travailleurs », tandis que les Afro-Américains sont jugés « superstitieux, paresseux », les Juifs « intéressés », etc. Cependant, on retrouve ce biais-là dans de très nombreux domaines : nationalité et chauvinisme, équipes sportives et supporters, etc.
  • Le concept d’attitude : En 1934, Lapierre tente de prouver qu’un préjugé à l’égard d’un groupe ethnique (ici, les Chinois) induit logiquement un comportement de discrimination en adéquation (refus pour un hôtelier Américain d’héberger un client Chinois). Lorsque la question est posée à l’hôtelier Américain, celui-ci affirme qu’il refusera de louer une chambre à tout Chinois se présentant ; mais concrètement, l’expérience de Lapierre montre que le comportement est tout autre, car la quasi-totalité des hôteliers ont accepté de loger des clients Chinois. Il n’y a donc pas de lien automatique entre le préjugé et la discrimination : vous pouvez donc tenir un discours raciste, sans toutefois mettre en place des comportements discriminants envers les personnes visées par votre discours.
  • La désirabilité sociale : Pettigrew (1950) démontre que la catégorie socio-culturelle et le degré d’instruction n’influent absolument pas sur la présence ou l’absence de stéréotypes sociaux (comme quoi, on peut être très instruit, mais plein de clichés). Pettigrew met aussi en avant un biais de désirabilité sociale pouvant influencer les réponses de certains sujets : pour ne pas sortir de la norme, le sujet va ainsi homogénéiser sa propre réponse avec celle de son groupe d’appartenance, même s’il pense le contraire. Ainsi, si votre belle-famille est plutôt raciste, il y a peu de chances pour que vous teniez un discours contestataire empreint de tolérance lors du dîner de Noël, car vous avez conscience que cela pourrait faire mauvais effet…
  • L’erreur fondamentale d’attribution : En 1977, les études de Ross montrent que lorsqu’il s’agit d’expliquer le comportement d’autrui, nous avons tendance à surestimer les causes internes (propres à l’individu) et à négliger les causes externes (circonstances). Concrètement, si vous avez encore une fois oublié vos clés ce matin, c’est bien sûr parce-que la maison est mal rangée ou parce-que votre colocataire ou conjoint(e) dérange sans arrêt vos affaires ; en revanche lorsque c’est lui qui a oublié les siennes, c’est parce qu’il est tête-en-l’air et désorganisé, cela va de soit !
  • Le Locus Of Control (LOC) : Rotter (1966) a démontré que certains sujets avaient plutôt tendance à systématiquement internaliser leurs erreurs et d’autres à les attribuer à des causes externes. C’est ainsi qu’en cas d’échec à un examen ou à un simple jeu de société par exemple, certains sujets diront qu’ils ont échoué à cause de leur manque de travail ou de stratégie (LOC interne), tandis que d’autres diront qu’ils ont échoué parce-que l’examen était trop difficile ou encore que l’équipe adverse a gagné parce qu’elle a triché (LOC externe ; et là je parie que vous pensez à un mauvais perdant en particulier).
  • L’influence des mass-media : Tout individu cherche à comprendre son environnement et les informations qu’il perçoit, à l’aide de ses connaissances antérieures ou de suppositions parfois erronées, c’est ce qu’on appelle la « pensée par clichés ». Les mass-media (capables d’atteindre et d’influencer une large audience) et l’augmentation des contacts avec l’étranger ont affaiblis certains stéréotypes sociaux négatifs et ont permis l’apparition d’autres plus positifs. En reprenant l’expérience de Katz et Braly (1933), Devine et Elliott (2000) ont notamment constaté que de nouveaux stéréotypes sociaux sont apparus : si les Noirs restent qualifiés de « paresseux et pauvres », ils sont également devenus « athlètes et musiciens ».
Vous pouvez tout aussi bien remplacer le journal par un ordinateur, une tablette ou un téléphone portable : les mass-media influencent notre perception du monde, en bien comme en mal…
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Les stéréotypes sociaux de genre

En 1975, Williams et Bennett décident de répertorier les différents qualificatifs les plus associés aux stéréotypes sociaux féminins et masculins de l’époque.

  • Les hommes sont alors estimés : « agressifs », « ambitieux », « casse-cou », « confiants », « constants », « cruels », « dominants », « entreprenants », « forts », « grossiers », « indépendants », « réalistes », « rationnels », « rigoureux », « sans émotions », « vantards ».
  • Les femmes sont jugées : « affectueuses », « attentives », « capricieuses », « cœur tendre », « délicates », « dépendantes », « douces », « émotionnelles », « faibles », « frivoles », « humbles », « pleurnicheuses », « rêveuses », « sensibles », « soumises », « volages ».

Dix ans plus tard, les études de Bergeron et Gaudreau (1985) sur les stéréotypes de l’homme occidental remettront en évidence des notions similaires à celles de Williams et Bennett (1975) : l’homme est toujours jugé comme étant « fort », « confiant », « assertif », « compétitif », « rationnel », « ferme », « dur », « affirmé » et « très conscient de son identité sexuelle ». A l’inverse, la femme reste définie par son « affectivité », son « émotivité », sa « passivité », sa « vulnérabilité », son « désir de prendre soin d’elle » et ses « changements d’humeur ». D’autres auteurs comme Hess, Adams et Kleck (2005) ont également démontré que certaines émotions étaient davantage attribuées aux femmes (crainte, sociabilité, subordination), et d’autres aux hommes (pouvoir, dominance, colère).

En 2001, les études de Glick et Fiske ont démontré que les stéréotypes pouvaient être utilisés par un groupe « dominant » pour maintenir certains groupes sociaux dans une position subordonnée sans utiliser la force, et maintenir le statu quo. Cela serait notamment le cas dans les relations hommes/femmes, particulièrement sur le plan professionnel. De même, les études de Jost et Banaji (1994) ont démontré que les stéréotypes légitimeraient et maintiendraient la position « dominante » des individus masculins dans nos sociétés occidentales actuelles (en faisant ainsi « le sexe fort »). Cela est également mis en évidence par Prentice et Carranza (2002), qui ont démontré que les traits de compétence (« ambitieux, assertif, confiant, rationnel, compétitif ») sont clairement prescrits aux hommes, tandis qu’ils le sont peu (voire pas du tout) aux femmes. Dans cette expérience, les résultats montrent que les traits attribués aux femmes sont essentiellement des traits de sociabilité (« chaleureuse, gentille, coopérative, patiente, polie »).

Conséquences : l’effet de « menace du stéréotype » et les prophéties auto-réalisatrices

Comme nous l’avons expliqué plus haut avec les concepts d’attitude et de discrimination, il est primordial d’avoir conscience des effets des stéréotypes sociaux sur les comportements, attitudes et performances, les nôtres comme celles d’autrui.

  • L’effet de menace du stéréotype : En 1995, Steele et Aronson ont démontré que les victimes d’un stéréotype pouvaient finir par le rendre réel. Les chercheurs ont ainsi fait passer un même test à deux groupes différents d’étudiants, chacun contenant 50% d’étudiants Blancs et 50% d’étudiants Noirs ; le premier groupe était informé qu’il s’agissait d’un test mesurant l’intelligence, tandis que le second était informé qu’il s’agissait uniquement de comprendre le fonctionnement du cerveau. Les conclusions sont sans appel : si les résultats du second groupe sont similaires pour l’ensemble des étudiants, on remarque une nette diminution des résultats pour les étudiants Afro-Américains lorsque ceux-ci pensent qu’ils sont en train de passer un test d’intelligence. Cela fait bien sûr écho à tout un ensemble de modèles théoriques basés sur les stéréotypes ethniques, toujours extrêmement prégnants aux Etats-Unis d’après les plus récentes études sur le sujet.
  • Les prophéties auto-réalisatrices (ou effet Pygmalion) : Les résultats obtenus par Steele et Aronson (1995) ne sont pas sans évoquer l’effet Pygmalion de Rosenthal et Jacobson (1968), particulièrement étudié dans le contexte de la performance sportive ou scolaire. De fait, cette théorie affirme que les attentes d’un enseignant envers ses élèves peuvent déterminer les performances de ces derniers. Concrètement, si vous êtes plutôt mauvais élève en mathématiques dès le début de l’année, votre professeur risque alors de développer peu d’attentes à votre égard et peu d’espoir de vous voir progresser dans cette matière (si vous êtes vraiment malchanceux, il peut même carrément vous répéter à longueur d’année scolaire que de toutes façons vous êtes nul et qu’ainsi vous ne ferez jamais tel ou tel métier). Si effectivement votre moyenne en mathématiques est toujours aussi basse en fin d’année, alors la prophétie auto-réalisatrice se sera…… réalisée. Si aujourd’hui les études sur le sujet ne font pas consensus, on constate quand même que 5 à 10% des performances scolaires seraient expliquées par des prophéties auto-réalisatrices, ce qui n’est pas négligeable.

J’espère que cet article vous aura plu et peut-être fait prendre conscience des conséquences de nos stéréotypes sociaux sur autrui, même si bien souvent, cela est dit sans méchanceté. Comme toujours, n’hésitez pas à laisser un commentaire, nous y répondrons avec plaisir !

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